Page 13 - La Rumeur 9-4 Lucien Blanchette
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              la  carderie  de  Saint-Alexandre  pour  la  transfor-
              mer en petits rouleaux ou boudins légers de laine
              souple d’une longueur d’environ 30 pouces, prêts
              à filer.

                  Au cours des années 30, il était encore cou-
              tume chez nous que le filage se fasse par corvée.
              Rencontrées  au  village  le  dimanche  matin,  les
              dames du voisinage étaient invitées. Le jour dit,
              on voyait arriver ces dames avec leur rouet, l’une
              après  l’autre,  en  voiture  conduite  par  leur  mari.
              Puis, disposées en cercle dans la grande cuisine,
              elles  se  mettaient  au  travail  sans  tarder.  Pour
              nous les enfants, c’était une attraction d’un grand
              intérêt.  Le  ronronnement  de  tous  ces  10  à  12
              rouets, accompagné du commérage des fileuses,
              faisait en sorte que la journée passait assez rapi-
              dement.  Un  rendez-vous  était  ensuite  convenu
              pour une autre séance de filage chez une autre
              voisine, dans un avenir prochain.

                  Mon père, en observateur perspicace, cher-
              chait toujours  le  moyen de faciliter  le travail  par
              des  procédés  innovateurs.  Un  certain  dimanche
              revenant de la messe, il se rend sans tarder dans
              sa boutique. Nous ne savions pas le pourquoi de
              cet  empressement  à  se  mettre  au  travail  mais
              nous  n’allions  pas  tarder  à  l’apprendre.  Il  nous
              racontera plus tard qu’il avait eu, pendant le ser-
              mon (!) une idée spéciale sur un projet qu’il ca-
              ressait depuis longtemps et qu’il avait hâte d’en
              vérifier  la  justesse  et  la  possibilité  de  mise  en
              oeuvre.  Nous  n’en  étions  pas  tellement  surpris,
              nous  connaissions  son  ingéniosité  coutumière,
              mais cette fois il avait eu une idée qui fit sensa-
              tion dans l’entourage.
                                                                 D’ailleurs,  le  rouet  prenait  moins  d’espace  puis-
                  Quelques jours plus tard, il entrait à la mai-  qu’il n’avait plus cette grande roue. Malheureuse-
              son avec son invention : un rouet électrique. Ma-  ment, malgré tous ces avantages, la modernisa-
              man  s’empressa  d’expérimenter  ce  chef-         tion qui a suivi la dernière guerre avait chambar-
              d’oeuvre. Le succès fut total. Avec cet appareil,   dé le régime de vie de tout le monde et on a dû
              ma  mère  filait  sa  laine  quatre  fois  plus  rapide-  ranger le rouet au grenier. Mais déjà, il avait été
              ment. C’était sans conteste, très avantageux :     apprécié par plusieurs fileuses dans notre milieu.
                                                                 Peut-être  un  jour,  trouvera-t-il  preneur  dans
                  - Plus besoin de pédaler.                      d’autres  parties  du  monde  moins  modernisées,
                  - Plus besoin d’arrêter pour changer le fil de  qui sait?
              place sur les crochets des ailettes puisque ceux-
              ci était éliminés et qu’une simple petite manette à              Gérald Lévesque
              glissière permettait cette opération sans arrêter ni
              ralentir.
                  -  Et  l’appareil  tournait  plus  régulièrement  et
              plus vi
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