Page 12 - La Rumeur 4-2 Monique Lemaire
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          Vie sociale et vie paroissiale




          Notre  ami  Gérald  Lévesque  continue  la         tendons  très  bien.  Je  réunis  par  la  suite  les
          chronique  de  sa  soeur  Marie-Rose,  institu-    jeunes filles de mon milieu et nous allons deux
          trice "dans l'ancien temps".                       fois par semaine exercer ces chants au village.
                                                             Nous  voilà  toutes  les  deux  emballées  par  ce
                                                             projet. Avec ma sœur, nous formons un groupe
                                                             de huit voix. Tout va à merveille. Je les connais
                     Novembre  1930  débute.  Un  projet     si bien ces chants appris au pensionnat de Ri-
          de l’an dernier me trotte dans la tête : un spé-   mouski. Lorsque nous avons une répétition gé-
          cial pour la messe de minuit du 25 décembre        nérale  (basses,  ténors,  sopranos,  altos)  chez
          prochain. J’ai décelé depuis ce temps plusieurs    notre  organiste,  son  vieux  père  s’exclame  :
          belles  voix  dans  mon  entourage.  Alors  pour-  « Je me croirais au Ciel! »
          quoi ne pas préparer les chants de Noël pour
          la  messe  de  minuit?  Ce  sera  nouveau  dans                Nous voilà au 24 décembre. Le soir
          cette petite paroisse de campagne.                 même nous partons tôt pour la séance de con-
                                                             fessions  qui  précède  la  messe.  C’est  le  mo-
                     Le  vieux  curé  à  barbe  blanche  a   ment choisi par monsieur le curé pour vérifier
          pourtant  ses  vieilles  habitudes  auxquelles  il   la  longueur  des  robes  des  demoiselles.  Plu-
          déroge  difficilement.  Ce  qui  existait  demeure,   sieurs  se  voient  refuser  l’absolution.  Raison  :
          mais rien de plus. Il a des idées bien ar-              robe trop courte!….
          rêtées.  Quelques  événements  récents
          me  retiennent  sur  mes  gardes.  Ainsi,                      Ma  jeune  sœur  Thérèse,    toute
          deux jeunes institutrices, des filles de la             confiante  se présente à son tour au con-
          paroisse aux idées avant-gardistes, déci-               fessionnal  sans  aucune  arrière-pensée;
          dent de raccourcir leurs jupes  à hauteur               mais  elle  aussi  se  fait  poser  la  terrible
          des genoux pour le malin plaisir d’attirer              question:    «  Ta  jupe  est-elle  à  treize
          l’attention  sur  elles.  Résultat  :  scandale         pouces  du  sol  ?  »    Surprise,    ma  jeune
          dans la paroisse! Du haut de la chaire le               sœur  qui  ne  s’est  jamais  arrêtée  à  cette
          décret  tombe:  «  Les  robes  des  jeunes              question  lui  répond:  «  Je  ne  sais  pas!
          filles ne doivent pas remonter à plus de treize    «      Résultat  :  pas  d’absolution  pour  elle  non
          pouces du sol. »                                   plus! Bouleversée, elle me revient toute blême,
                                                             à un point tel que je la crois malade. Nous sor-
                     D’autre  part,  l’institutrice  du  village   tons  prendre  l’air  et  elle  me  raconte  tout.  Je
          qui enseigne au niveaux des 7ième, 8ième et        suis indignée! Je tente de la réconforter, faisant
          9ième année jouit d’une excellente réputation.     dériver  ses  pensées  vers  la  belle  messe  de
          Elle  demeure  avec  ses  parents  âgés  et  inva-  minuit  que  nous  allons  vivre;  mais  j’aurais  le
          lides dont elle prend soin. Âgée de trente ans,    goût d’aller dire au curé : »c’est votre façon de
          elle  est  en  même  temps  organiste  à  l’église.   nous  remercier  pour  toute  la  peine  que  nous
          Pour  moi,  c’est  une  grande  amie.  C’est  avec   nous  donnons  pour  vous  organiser  une  belle
          elle  que  je  mettrai  à  exécution  mon  projet  de   fête de Noël! »
          messe  de  minuit.  Entre  temps,  une  nouvelle
          famille vient s’installer au village. Le père prend            Le matin venu, à la messe du jour,
          possession du magasin général. L’aîné des fils,    beaucoup de paroissiens viennent nous remer-
          un  garçon  instruit,  devient  rapidement  secré-  cier,  nous  féliciter  pour  ces  beaux  chants  de
          taire  de  la  municipalité.  Un  autre  garçon  de   Noël, comme ils n’en ont jamais entendus dans
          cette  famille  s’intéresse,  lui,  à  l’institutrice-  leur  église.  Cette  reconnaissance    nous  ap-
          organiste, ce qui entretient les potins chez ces   porte  satisfaction  et  joie  pour  le  bonheur  que
          dames du village.                                  nous  avons  créé  au  sein  de  la  communauté
                                                             paroissiale. Et Thérèse, maintenant remise de
                     Mais  décembre  approche.  Je  ren-     ses  émotions,  peut,    après  coup,  reconnaître
          contre l’organiste et lui fais part de mon projet.   de quel côté est l’erreur.
          J’ai  la  musique  et  les  partitions  pour  une
          messe de minuit à quatre voix. Nous nous en-                                         (Suite page 13)
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